La baisse annoncée des voyages privés des Suisses vers les États-Unis est souvent interprétée comme un signal d’humeur. Les discours politiques de Donald Trump, les thèmes sécuritaires mis en avant dans la campagne américaine et les tensions symboliques qui en découlent contribuent à une impression de fermeture. Les touristes potentiels s’interrogent, hésitent, reportent. Pourtant, dans le même temps, les déplacements professionnels vers les États-Unis ne diminuent pas. Certaines entreprises prévoient même de renforcer leur présence. Ce contraste peut sembler incompréhensible pour beaucoup de personnes. Il mérite d’être expliqué, car il dévoile deux réalités distinctes qui ne réagissent pas aux mêmes stimuli.
Les voyageurs privés répondent d’abord à des émotions, à l’image d’un pays et à la simplicité perçue du voyage. Depuis l’élection de Donald Trump, le durcissement des discours sur l’immigration et les contrôles d’entrée, la hausse du prix de l’ESTA, les attentes plus longues aux frontières et la valorisation d’un climat sécuritaire intense nourrissent une perception d’imprévisibilité. À cela s’ajoutent des éléments concrets. Le dollar est fort, l’hôtellerie américaine est devenue plus chère depuis la pandémie et les coûts annexes se sont multipliés. La Fédération suisse du voyage évoque une baisse d’environ quinze pour cent des revenus liés aux voyages vers les États-Unis en 2025 et une contraction encore plus marquée en 2026. Dans un tel contexte, le choix d’une destination est un acte personnel et émotionnel. Si l’atmosphère semble lourde et si les démarches paraissent plus complexes, l’envie diminue.

Les entreprises suisses ne raisonnent pas de cette manière. Elles ne voyagent pas pour explorer ou se détendre. Elles voyagent pour rester présentes sur un marché dont elles dépendent. Il est souvent difficile, pour un public non spécialisé, de percevoir l’ampleur de cette dépendance. La pharmacie ne représente pas toute l’économie suisse. Pourtant, même hors de ce secteur, les États-Unis occupent une place centrale. Les services financiers et les assurances suisses doivent suivre les marchés américains, car c’est là que se trouvent les plus grands fonds de pension et les principales places de financement. Les industries de la machine, de l’ingénierie et de l’automation exportent des équipements qui nécessitent de la formation, de la maintenance et des certifications sur place. L’horlogerie et le luxe réalisent une part décisive de leurs ventes aux États-Unis et doivent gérer les réseaux de distribution directement. Les entreprises cleantech doivent être physiquement présentes pour accéder aux programmes industriels américains, dont les montants dépassent ceux de la plupart des pays européens. Les startups et les PME technologiques suisses dépendent des investisseurs américains pour leurs levées de fonds. Ces éléments concernent des milliers d’entreprises et des centaines de milliers d’emplois, et ils structurent l’économie bien au delà de la seule pharma.
Pour ces acteurs, la politique intérieure américaine n’est pas indifférente. Elle n’est simplement pas déterminante. Une entreprise suisse peut être en profond désaccord avec l’administration Trump et, dans le même temps, ne pas pouvoir renoncer au marché américain. Ses certifications, ses partenariats, ses ventes ou son financement dépendent de sa capacité à interagir avec les États-Unis, qu’elle le veuille ou non. Refuser de s’y rendre reviendrait à se retirer volontairement d’un espace où se joue une partie de sa compétitivité ou de sa survie. Les voyages d’affaires répondent donc à une nécessité structurelle, tandis que les voyages privés répondent à une sensibilité individuelle. L’un est un outil, l’autre un choix.
Comprendre cette dissymétrie est essentiel. Elle permet d’éviter l’idée que les Suisses seraient contradictoires, qu’ils refuseraient les États-Unis sur le plan personnel tout en les recherchant sur le plan économique. Ce qui se joue relève simplement de deux registres différents. Les ménages réagissent à une impression. Les entreprises réagissent à une contrainte. Les premiers adaptent leurs projets lorsque le climat politique américain se durcit. Les secondes maintiennent leur trajectoire parce que leur présence n’est pas optionnelle. La baisse des voyages touristiques traduit une prudence individuelle. La stabilité des voyages professionnels révèle une dépendance économique profonde. Ces deux dynamiques coexistent sans s’annuler, et c’est dans cet écart que l’on perçoit ce que disent réellement les chiffres.
Sources
États Unis. Les Suisses hésitent à traverser l’Atlantique
https://frapp.ch/fr/articles/stories/etats-unis-les-suisses-hesitent-a-traverser-latlantique
Vers une chute des voyages aux États Unis en 2026
https://www.swissinfo.ch/fre/vers-une-chute-des-voyages-aux-etats-unis-en-2026-%28fsv%29/90423236
Prévisions du tourisme
https://kof.ethz.ch/fr/news-et-manifestations/kof-news0/2025/05/previsions-tourisme.html
Exportations par catégories et pays de destination
https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/aussenhandel.html
Industrie des machines. Tendances et exposition internationale
https://www.swissmem.ch
Horlogerie suisse. Données et analyses
https://www.fhs.swiss
